mercredi 14 octobre 2020

Ogresse

MANÇO, Aylin. Ogresse. Exprim', Sarbacane. 2020, 278 p. ISBN: 9782377313754 (16,00€)
 
Résumé: 
 
Hippolyte, H pour ses amis, vit seule avec sa mère depuis que son père est parti. Depuis leur divorce, l'été précédent, rien ne va. H a l'impression que son monde est bancal.
Ses meilleurs amis, Benji le blagueur et Kouz le beau gosse, ne la considèrent pas comme une vraie fille mais comme une pote. Kouz ne se gêne d'ailleurs pas pour montrer et commenter les nudes qu'une fille lui a envoyée. Sans aucune considération pour Hippolyte.
Au lycée, H n'arrive plus à rien.
Son père tente de maintenir le lien mais lui parle encore comme si elle était une petite fille.
Sa mère quant à elle est de plus en plus difficile à cerner: elle refuse de manger avec sa fille mais lui cuisine tous les jours un énorme morceau de viande qu'Hippolyte se force à avaler, elle semble faible et se lève au milieu de la nuit pour passer des heures enfermée à la cave.
À cela s'ajoute la disparition inexpliquée d'une voisine âgée que l'adolescente appréciait bien.
Et le pire est à venir: un soir, sa mère se jette sur elle et la mord. Hippolyte ne comprend rien mais sait qu'elle doit trouver une solution pour sauver sa mère. Tout en essayant de suivre ses cours, maintenir ses relations, comprendre ce qu'elle veut... 
Peut-être que c'est trop pour les épaules d'une seule personne. 
Peut-être qu'elle devrait parler.
Peut-être qu'il est trop tard.
 
Avis:
 
Encore un livre sur le mal-être adolescent? Oui et non. 
Oui parce qu'effectivement, H traverse des périodes de doutes, de colères, de questionnements liées à son âge (avenir, amour, sexualité, amitié, relation avec les parents, relation à soi, valeurs...). Elle cherche sa place, son identité. 
Non parce que, en périphérie, se devine l'horreur. Elle n'est jamais dite clairement, mais toujours en arrière plan, sous-entendue, suggérée, insinuée, laissée à l'imagination de chacun. Et ce qu'on nous laisse entrevoir suffit à nous faire déduire le pire. Mais attention, nous ne sommes pas dans un livre de Zombie, Post-apocalyptique, avec un Virus incontrôlable ou je-ne-sais-quoi. Absolument pas. Le sujet central c'est Hippolyte et sa relation aux autres.

Les premières pages m'ont d'abord laissée perplexe. Et puis ensuite, le dégoût croissant d'Hippolyte pour les assiettes que sa mère lui propose chaque soir m'a happée. Ce qui est remarquable, c'est la façon dont Aylin MANÇO arrive à transmettre le malaise, cette vision "sang-trippe-boyaux" sans JAMAIS mentionner quoi que soit. 
 
Autre point positif: Hippolyte est mal mais jamais geignarde (je déteste ça): son mal-être est réel pas surjoué. 

 Quelques phrases qui m'ont bien plues:
 
"Elle avait acheté des tonnes de viande: tranches de lard épaisses, une entrecôte bien grasse, un rôti de porc d'un rose presque fluorescent et, pire que tout, une tranche de foie de veau. J'ai empilé les emballages [...] dans le frigo en m'efforçant de contenir ma nausée."

 "J'aimais bien l'école, avant. Seulement, je n'avais pas compris à quel point c'était un amour fragile. Il suffit de se laisser un tout petit peu, et quand on relève la tête, on se rend compte qu'on est tombés du bus. Et il repart."

"Il manque un mot dans la langue française, un mot pour qualifier les évènements qui sont impossibles mais qui surviennent quand même."

"J'ai eu mal cette nuit-là. [...] MA tête, le cœur, les poumons, le cœur, mes muscles, mon ventre, ma peau, le cœur [...] C'était une douleur dans cause. Juste une douleur. Mais d'où venait-elle?"

" - On ne peut pas crier dans la rue en pleine journée, parce qu'on nous prendrait pour des fous, ni pendant la nuit, parce qu'on réveillerait les gens. On ne peut pas crier à l'école, parce qu'on se ferait engueuler. On ne peut pas crier chez nous parce que les voisins appelleraient la police. [...]
- Mais pourquoi tu voudrais crier? [...]
-Je  veux hurler.
- De rage? De triomphe?
-Sans raison.
Menteuse, j'ai pensé."

Un excellent moment de lecture!
 
Thèmes:
Relation parents / enfants
Relation entre jeunes, relation fille-garçon
Perception de soi, des autres
Adolescence, amour, amitié
Cannibalisme
 
Niveaux: dès la 4e
 
Pauline G. (Chaumont)




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